"La Dernière Classe" d'Alphonse Daudet
Préparation à la lecture
In 1870 in an act of colossal stupidity, France declared war on Prussia, the country to the east that would shortly become Germany. The French army suffered one humiliating defeat after the next. At the end of the war France had to sign a treaty by which it ceded its eastern provinces of Alsace and part of Lorraine to what then became Germany.
l'Alsace et la Lorraine
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This story, which every French student still reads well over a hundred years later, takes place shortly after the end of the war in occupied Alsace. It is told by a student, probably a grade school student, who remembers a very particular day at school. He has problems learning French - the Alsatians spoke Alsatian, a mixture of French and German, and had to learn French in school just like any other foreign language - and had not tried very hard in French class. So as he sets off for school, he seriously thinks about skipping and going to play in the fields outside his small town instead. But this will be a day in school that he and his classmates will never forget.
Lecture
Ecoutez la première partie de "La dernière classe"
Ce matin-là j'étais très en retard pour aller à l'école, et j'avais grand-peur d'être grondé, d'autant que M. Hamel nous avait dit qu'il nous interrogerait sur les participes, et je n'en savais pas le premier mot. Un moment l'idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs.
Le temps était si chaud, si clair.
On entendait les merles siffler à la lisière du bois, et dans le pré Rippert derrière la scierie, les Prussiens qui faisaient l'exercice. Tout cela me tentait bien plus que la règle des participes; mais j'eus la force de résister, et je courus bien vite vers l'école.
En passant devant la mairie, je vis qu'il y avait du monde arrêté près du petit grillage aux affiches. Depuis deux ans, c'est de là que nous sont venues toutes les mauvaises nouvelles, les batailles perdues, les réquisitions, les ordres de commandature; et je pensai sans m'arrêter:
5 «Qu'est-ce qu'il y a encore?»
Alors, comme je traversais la place en courant, le forgeron Wachter, qui était là avec son apprenti en train de lire l'affiche, me cria:
--«Ne te dépêche pas tant, petit; tu y arriveras toujours assez tôt à ton école!»
Je crus qu'il se moquait de moi, et j'entrai tout essoufflé dans la petite cour de M. Hamel.
D'ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu'on entendait jusque dans la rue, les pupitres ouverts, fermés, les leçons qu'on répétait très haut tous ensemble en se bouchant les oreilles pour mieux apprendre, et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables:
10 «Un peu de silence!»
Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu; mais justement ce jour-là tout était tranquille, comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je voyais mes camarades déjà rangés à leurs places, et M. Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le bras. Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Vous pensez, si j'étais rouge et si j'avais peur!
Eh bien, non. M. Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement:
«Va vite à ta place, mon petit Frantz; nous allions commencer sans toi.»
J'enjambai le banc et je m'assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin
Un jabot (the white lace)
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et la calotte de soie noire brodée qu'il ne mettait que les jours d'inspection ou de distribution de prix. Du reste, toute la classe avait quelque chose d'extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui restaient vides d'habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous, le vieux Hauser avec son tricorne, l'ancien maire, l'ancien facteur, et puis d'autres personnes encore.
Un tricorne
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Tout ce monde-là paraissait triste; et Hauser avait apporté un vieil abécédaire mangé aux bords qu'il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages.
15 Pendant que je m'étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m'avait reçu, il nous dit:
«Mes enfants, c'est la dernière fois que je vous fais la classe. L'ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l'allemand dans les écoles de l'Alsace et de la Lorraine... Le nouveau maître arrive demain. Aujourd'hui c'est votre dernière leçon de français. Je vous prie d'être bien attentifs.»
Ces quelques paroles me bouleversèrent. Ah! les misérables,voilà ce qu'ils avaient affiché à la mairie.
Ma dernière leçon de français!...
Et moi qui savais à peine écrire! Je n'apprendrais donc jamais! Il faudrait donc en rester là!... Comme je m'en voulais maintenant du temps perdu, des classes manquées à courir les nids ou à faire des glissades sur la Saar! Mes livres que tout à l'heure encore je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma grammaire, mon histoire sainte me semblaient à présent de vieux amis qui me feraient beaucoup de peine à quitter. C'est comme M. Hamel. L'idée qu'il allait partir, que je ne le verrais plus me faisait oublier les punitions et les coups de règle.
20 Pauvre homme!
C'est en l'honneur de cette dernière classe qu'il avait mis ses beaux habits du dimanche, et maintenant je comprenais pourquoi ces vieux du village étaient venus s'asseoir au bout de la salle. Cela semblait dire qu'ils regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, à cette école. C'était aussi comme une façon de remercier notre maître de ses quarante ans de bons services, et de rendre leurs devoirs à la patrie qui s'en allait...
J'en étais là de mes réflexions, quand j'entendis appeler mon nom. C'était mon tour de réciter. Que n'aurais-je pas donné pour pouvoir dire tout au long cette fameuse règle des participes, bien haut, bien clair, sans une faute; mais je m'embrouillai aux premiers mots, et je restai debout à me balancer dans mon banc, le coeur gros, sans oser lever la tête. J'entendais M. Hamel qui me parlait:
«Je ne te gronderai pas, mon petit Frantz, tu dois être assez puni... voilà ce que c'est. Tous les jours on se dit: Bah! j'ai bien le temps. J'apprendrai demain. Et puis tu vois ce qui arrive... Ah! ç'a été le grand malheur de notre Alsace de toujours remettre son instruction à demain. Maintenant ces gens-là [les Allemands] sont en droit de nous dire: Comment! Vous prétendiez être Français, et vous ne savez ni parler ni écrire votre langue!... Dans tout ça, mon pauvre Frantz, ce n'est pas encore toi le plus coupable. Nous avons tous notre bonne part de reproches à nous faire.
«Vos parents n'ont pas assez tenu à vous voir instruits. Ils aimaient mieux vous envoyer travailler à la terre ou aux filatures pour avoir quelques sous de plus. Moi-même n'ai-je rien à me reprocher? Est-ce que je ne vous ai pas souvent fait arroser mon jardin au lieu de travailler? Et quand je voulais aller pêcher des truites, est-ce que je me gênais pour vous donner congé?...»
25 Alors d'une chose à l'autre, M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c'était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide: qu'il fallait la garder entre nous et ne jamais l'oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu'il tient sa langue, c'est comme s'il tenait la clef de sa prison... Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon. J'étais étonné de voir comme je comprenais. Tout ce qu'il disait me semblait facile, facile. Je crois aussi que je n'avais jamais si bien écouté, et que lui non plus n'avait jamais mis autant de patience à ses explications. On aurait dit qu'avant de s'en aller le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d'un seul coup.
La leçon finie, on passa à l'écriture. Pour ce jour-là, M. Hamel nous avait préparé des exemples tout neufs, sur lesquels était écrit en belle ronde: France, Alsace, France, Alsace.
Un exemple d'écriture, écrit en belle ronde
Source: http://php.educanet2.ch/epcorgemont/spip/IMG/jpg/modele_ecriture_scripte.jpg
Cela faisait comme des petits drapeaux qui flottaient tout autour de la classe pendu à la tringle de nos pupitres. Il fallait voir comme chacun s'appliquait, et quel silence! on n'entendait rien que le grincement des plumes sur le papier. Un moment des hannetons entrèrent; mais personne n'y fit attention, pas même les tout petits qui s'appliquaient à tracer leurs bâtons, avec un coeur, une conscience, comme si cela encore était du français... Sur la toiture de l'école, des pigeons roucoulaient bas, et je me disais en les écoutant:
«Est-ce qu'on ne va pas les obliger à chanter en allemand, eux aussi?»
De temps en temps, quand je levais les yeux de dessus ma page, je voyais M. Hamel immobile dans sa chaire et fixant les objets autour de lui comme s'il avait voulu emporter dans son regard toute sa petite maison d'école... Pensez! depuis quarante ans, il était là à la même place, avec sa cour en face de lui et sa classe toute pareille. Seulement les bancs, les pupitres s'étaient polis, frottés par l'usage; les noyers de la cour avaient grandi, et le houblon qu'il avait planté lui-même enguirlandait maintenant les fenêtres jusqu'au toit. Quel crêve-coeur ça devait être pour ce pauvre homme de quitter toutes ces choses, et d'entendre sa soeur qui allait, venait, dans la chambre au-dessus, en train de fermer leurs malles! car ils devaient partir le lendemain, s'en aller du pays pour toujours.
Tout de même il eut le courage de nous faire la classe jusqu'au bout. Après l'écriture, nous eûmes la leçon d'histoire; ensuite les petits chantèrent tous ensemble le BA BE BI BO BU. Là-bas au fond de la salle, le vieux Hauser avait mis ses lunettes, et, tenant son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux. On voyait qu'il s'appliquait lui aussi; sa voix tremblait d'émotion, et c'était si drôle de l'entendre, que nous avions tous envie de rire et de pleurer. Ah! je m'en souviendrai de cette dernière classe...
30 Tout à coup l'horloge de l'église sonna midi, puis l'Angelus. Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l'exercice éclatèrent sous nos fenêtres... M. Hamel se leva, tout pâle, dans sa chaire. Jamais il ne m'avait paru si grand.
«Mes amis, dit-il, mes amis, je... je... »
Mais quelque chose l'étouffait. Il ne pouvait pas achever sa phrase.
Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et, en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu'il put:
«VIVE LA FRANCE!»
35 Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main il nous faisait signe:
«C'est fini...allez-vous-en.»
Révision de la grammaire
Le passé simple III.E.
Les verbes en -er:
4 je pensai sans m'arrêter:
8 Je crus qu'il se moquait de moi, et j'entrai tout essoufflé
dans la petite cour de M. Hamel.
14 Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre
maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin
14 J'enjambai le banc et je m'assis tout de suite à mon pupitre.
22 je m'embrouillai aux premiers mots, et je restai debout à
me balancer dans mon banc
6 le forgeron Wachter, qui était là avec son apprenti en train
de lire l'affiche, me cria:
26 La leçon finie, on passa à l'écriture.
30 Tout à coup l'horloge de l'église sonna midi,
puis l'Angelus.
30 M. Hamel se leva, tout pâle, dans sa chaire.
35 Puis il resta là, la tête appuyée au mur
12 Eh bien, non. M. Hamel me regarda sans colère et me dit très
doucement:
33 Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie,
et, en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu'il put:
29 Après l'écriture, nous eûmes la leçon d'histoire;
ensuite les petits chantèrent tous ensemble le BA BE BI BO BU.
17 Ces quelques paroles me bouleversèrent.
26 Un moment des hannetons entrèrent; mais personne n'y fit attention,
30 Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l'exercice
éclatèrent sous nos fenêtres...
Les verbes en -re, en -ir, et quelques verbes irréguliers:
4 En passant devant la mairie, je vis qu'il y avait du monde arrêté
près du petit grillage aux affiches.
14 J'enjambai le banc et je m'assis tout de suite à mon
pupitre.
22 J'en étais là de mes réflexions, quand j'entendis
appeler mon nom.
12 Eh bien, non. M. Hamel me regarda sans colère et me dit très
doucement:
25 Alors d'une chose à l'autre, M. Hamel se mit à nous
parler de la langue française
25 Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon.
26 Un moment des hannetons entrèrent; mais personne n'y fit attention,
33 Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et,
en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu'il
put:
D'autres verbes irréguliers:
3 mais j'eus la force de résister, et je courus bien vite
vers l'école.
8 Je crus qu'il se moquait de moi, et j'entrai tout essoufflé
dans la petite cour de M. Hamel.
11 Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme.
14 Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle,
sur les bancs qui restaient vides d'habitude, des gens du village assis et silencieux
comme nous
25 Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon.
29 Tout de même il eut le courage de nous faire la classe
jusqu'au bout.
Un verbe irrégulier au passé simple, venir:
1 Un moment l'idée me vint de manquer la classe et de prendre
ma course à travers champs.
Révision de la lecture
1. Pourquoi le garçon veut-il manquer la classe ce jour?
2. Comment le commencement de la classe était-il différent ce
jour?
3. Comment le maître était-il différent ce jour?
4. Pourquoi les gens du village étaient-ils venus à l'école
ce jour?
5. Quand M. Hamel annonce que c'est la dernière leçoln de français,
qu'est-ce que le garçon regrette?
6. Qu'est-ce que M. Hamel demande au garçon de réciter?
7. Qui le maître blâme-t-il si le garçon ne connaît
pas la grammaire français?
8. Pourquoi le maître a-t-il préparé des exemples tout neufs
pour la leçon d'écriture?
9. Pourquoi le vieux Hauser s'applique-t-il à apprendre le français
avec les élèves?
10. Pourquoi, à la fin de la classe, M. Hamel écrit-il "Vive
la France!" au tableau noir?
Vocabulaire
gronder - to scold
les participes - participles; the rules governing the agreement of past participles
bother even the French, at least when they are young
à travers champs - across the fields
merle - blackbird
lisière - edge
pré - field
scierie - sawmill
Prussien - Prussia became Germany (capital: Berlin) at this time; these are
Prussian soldiers
mairie - town hall
grillage aux affiches - to this day, announcements (affiches) are posted outside
town halls in France
réquisition - confiscation of personal property
commandature - commandant's office; Alsace had been occupied by German troops
since the beginning of the Franco-Prussian War in 1870
6 forgeron - blacksmith
apprenti - apprentice
essoufflé - out of breath (from souffle=breath)
tapage - noise
pupitre - student desk
se boucher les oreilles - to put one's hands over one's ears
règle - here: yardstick, which teachers used to use as pointers - and
to hit unruly students; it was painful, as these yardsticks were made of iron
(fer)
taper - to tap
11 train - here: goings on
banc - bench; in the nineteenth century students sat on rows of benches; individual
chairs didn't come until later
ranger - to arrange in order
enjamber - to step over (from jambe=leg)
remis - recovered
frayeur - fear
15 chaire - here: the teacher's podium in front of the class
redingote - frock coat; teachers used to have to dress very formally
calotte - cap
broder - to embroider
distribution de prix - the equivalent of an awards assembly
facteur - postman
abédédaire - a basic reading book for young children learning
to read
maître - here: teacher
bouleverser - to throw into confusion
en vouloir à - to dislike, to resent
courir les nids - to go hunting for birds' nests
faire des glissades - to slide on the ice
la Saar - a river in Alsace
coups de règle - being hit with that iron yardstick
22 réciter - to recite; students were once expected to memorize
their nightly reading assignments and recite them in class
s'embrouiller - to get mixed up
remettre - to put off
coupable - guilty
filiature - mill that spun thread
sou - a small coin; the term is still used today in France to mean small change,
though France hasn't minted sous in centuries
arroser - to water
pêcher - to fish
truite - trout
donner congé - here: to let out of school
25 se mettre à - to begin to
esclave - slave
clef - key
écriture - handwriting, penmanship; in an era before computers and typewriters,
students spent a lot of time learning to write cursive neatly and clearly. Writing
(as opposed to printing) was required for any sort of office job.
drapeau - flag
tringle - here: the moulding on the edge of a student's desk
grincement - here: scratching
hanneton - maybug
bâton - here: the part of a written letter that goes above the center
line (see the exemple d'écriture above)
toiture - roof
roucouler - the sound pidgeons make
frotter - to rub
noyer - walnut tree
houblon - a type of vine
enguirlander - to cover with a garland
crêve-coeur - heartbreak
malle - suitcase, trunk
BA BE BI BO BU - the sounds students make when they learn how to read phonetically
épeler - to spell
30 horloge - clock
sonner - here: to chime
Angelus - a mass in the Catholic church
éclater - here: to blair out
étouffer - to smother, to choke
craie - chalk
35 appuyer - to lean