II - Le travail de son père
De tous les travaux que mon père exécutait
dans l'atelier, il n'y en avait point qui me passionnât davantage que
celui de l'or ; il n'y en avait pas non plus de plus noble ni qui requit plus
de doigté et puis ce travail était chaque fois comme une fête,
c'était une vraie fête, qui interrompait la monotonie des jours.
Aussi suffisait-il qu'une femme, accompagnée
d'un griot, poussât la porte de l'atelier, je lui emboîtais le pas
aussitôt. Je savais très bien ce que la femme voulait :
elle apportait de l'or et elle venait demander à mon père
de le transformer en bijou. Cet or, la femme l'avait recueilli dans les
placers de Siguiri où, plusieurs mois de suite, elle était demeurée
courbée sur les rivières, lavant la terre, détachant patiemment
de la boue la poudre d'or.
Ces femmes ne venaient jamais seules ; elles
se doutaient bien que mon père n'avait pas que ses travaux de bijoutier
; et même n'eut-il que de tels travaux, elles ne pouvaient ignorer qu'elles
ne seraient ni les premières à se présenter, ni par conséquent
les premières à être servies. Or, le plus souvent, elles
avaient besoin du bijou pour une date fixe, soit pour la fête du Ramadan,
soit pour la Tabaski ou pour toute autre cérémonie de famille
ou de danse.
Dès lors, pour aider leur chance d'être
rapidement servies, pour obtenir de mon père qu'il interrompit en leur
faveur les travaux en cours, elles s'adressaient à un solliciteur et
louangeur officiel, un griot, convenant avec lui du prix auquel il leur
vendrait ses bons offices.
Voici des griots
(Source: http://images.google.com/imgres?imgurl=www.guinee.net/bibliotheque/histoire/aarcin/1911/photos/thumbnails/13case_brousse.jpg&imgrefurl=http://www.guinee.net/bibliotheque/histoire/aarcin/1911/photos/index_2.htm&h=50&w=75&prev=/images%3Fq%3D%252Bcase%2B%252B%2522guin%25C3%25A9e%2522%26svnum%3D10%26hl%3Den%26lr%3D%26ie%3DUTF-8%26oe%3DUTF-8)
5 Le griot s'installait, préludait
sur sa cora, qui est notre harpe, et commençait à chanter
les louanges de mon père. Pour moi, ce chant était toujours un
grand moment. J'entendais rappeler les hauts faits des ancêtres de mon
père, et ces ancêtres eux-mêmes dans l'ordre du temps ; à
mesure que les couplets se dévidaient, c'était comme un grand
arbre généalogique qui se dressait, qui poussait ses branches
ici et là, qui s'étalait avec ses cent rameaux et ramilles devant
mon esprit. La harpe soutenait cette vaste nomenclature, la truffait et la coupait
de notes tantôt sourdes, tantôt aigrelettes.
Où le griot puisait-il ce savoir ? Dans
une mémoire particulièrement exercée assurément,
particulièrement nourrie aussi par ses prédécesseurs, et
qui est le fondement de notre tradition orale. Y ajoutait-il ? C'est possible
: c'est métier de griot que de flatter! Il ne devait pourtant pas beaucoup
malmener la tradition, car c'est métier de griot aussi de la maintenir
intacte. Mais il m'importait peu en ce temps, et je levais haut la tête,
grisé par tant de louanges, dont il semblait rejaillir quelque chose
sur ma petite personne. Et si je dirigeais le regard sur mon père, je
voyais bien qu'une fierté semblable alors l'emplissait, je voyais bien
que son amour-propre était grisé, et je savais déjà
qu'après avoir savouré ce lait, il accueillerait favorablement
la demande de la femme. Mais je n'étais pas seul à le savoir :
la femme aussi avait vu les yeux de mon père luire d'orgueil ; elle tendait
sa poudre d'or comme pour une affaire entendue, et mon père prenait ses
balances, pesait l'or.
Quelle sorte de bijou veux-tu ? disait-il.
Je veux...
Et il arrivait que la femme ne sût plus
au juste ce qu'elle voulait, parce que son désir la tiraillait
ici, la tiraillait là, parce qu'en vérité elle aurait voulu
tous les bijoux à la fois; mais il aurait fallu un bien autre tas d'or,
que celui qu'elle avait apporté pour satisfaire une telle fringale, et
il ne restait dès lors qu'à s'en tenir au possible.
10 Pour quand le veux-tu ? disait
mon père.
Et toujours c'était pour une date très
proche.
Ah! tu es si pressée que ça
? Mais où veux-tu que je prenne le temps ?
Je suis très pressée, je
t'assure! disait la femme.
Jamais je n'ai vu femme désireuse
de se parer, qui ne le fût pas! Bon! je vais m'arranger pour te satisfaire.
Es-tu contente ?
15 Il prenait la marmite en terre glaise
réservée à la fusion de l'or et y versait la poudre ; puis
il recouvrait l'or avec du charbon de bois pulvérisé, un charbon
qu'on obtenait par l'emploi d'essences spécialement dures ; enfin il
posait sur le tout un gros morceau de charbon du même bois.
Alors, voyant le travail dûment entamé,
la femme retournait à ses occupations, rassurée, pleinement rassurée
cette fois, laissant à son griot le soin de poursuivre des louanges dont
elle avait tiré déjà si bon profit.
Sur un signe de mon père, les apprentis
mettaient en mouvement les deux soufflets en peau de mouton, posés à
même le sol de part et d'autre de la forge et reliés à celle-ci
par des conduits de terre. Ces apprentis se tenaient constamment assis, les
jambes croisées, devant les soufflets ; le plus jeune des deux tout au
moins, car l'aîné était parfois admis à partager
le travail des ouvriers, mais le plus jeune c'était Sidafa, en
ce temps-là ne faisait que souffler et qu'observer, en attendant
d'être à son tour élevé à des travaux moins
rudimentaires.
Pour l'heure, l'un et l'autre pesaient avec force
sur les branloires, et la flamme de la forge se dressait, devenait une chose
vivante, un génie vif et impitoyable.
Mon père alors, avec ses pinces longues,
saisissait la marmite et la posait sur la flamme. Du coup, tout travail cessait
quasiment dans l'atelier: on ne doit en effet, durant tout le temps que l'or
fond, puis refroidit, travailler ni le cuivre ni l'aluminium à proximité,
de crainte qu'il ne vînt à tomber dans le récipient quelque
parcelle de ces métaux sans noblesse. Seul l'acier peut encore être
travaillé. Mais les ouvriers qui avaient un ouvrage d'acier en train,
ou se hâtaient de l'achever, ou l'abandonnaient carrément pour
rejoindre les apprentis rassemblés autour de la forge. En vérité,
ils étaient chaque fois si nombreux à se presser alors autour
de mon père, que je devais, moi qui étais le plus petit, me lever
et me rapprocher pour ne pas perdre la suite de l'opération.
20 Il arrivait aussi que, gêné
dans ses mouvements, mon père fit reculer les apprentis. Il le
faisait d'un simple geste de la main : jamais il ne disait mot à ce moment,
et personne ne disait mot, personne ne devait dire mot, le griot
même cessait d'élever la voix ; le silence n'était interrompu
que par le halètement des soufflets et le léger sifflement de
l'or. Mais si mon père ne prononçait pas de paroles, je
sais bien qu'intérieurement il en formait; je l'apercevais à ses
lèvres qui remuaient tandis que, penché sur la marmite, il malaxait
l'or et le charbon avec un bout de bois, d'ailleurs aussitôt enflammé
et qu'il fallait sans cesse renouveler.
Quelles paroles mon père pouvait-il bien
former ? Je ne sais pas; je ne sais pas exactement: rien ne m'a été
communiqué de ces paroles. Mais qu'eussent-elles été,
sinon des incantations?
N'était-ce pas les génies du feu
et de l'or, du feu et du vent, du vent soufflé par les tuyères,
du feu né du vent, de l'or marié avec le feu, qu'il invoquait
alors ; n'était-ce pas leur aide et leur amitié, et leurs épousailles
qu'il appelait ? Oui, ces génies-là presque certainement, qui
sont parmi les fondamentaux et qui étaient également nécessaires
à la fusion.
L'opération qui se poursuivait sous mes
yeux n'était une simple fusion d'or qu'en apparence ; c'était
une fusion d'or, assurément c'était cela, mais c'était
bien autre chose encore : une opération magique que les génies
pouvaient accorder ou refuser ; et c'est pourquoi, autour de mon père,
il y avait ce silence absolu et cette attente anxieuse. Et parce qu'il y avait
ce silence et cette attente, je comprenais, bien que je ne fusse qu'un
enfant, qu'il n'y a point de travail qui dépasse celui de l'or. J'attendais
une fête, j'étais venu assister à une fête, et c'en
était très réellement une, mais qui avait des prolongements.
Ces prolongements, je ne les comprenais pas tous, je n'avais pas l'âge
de les comprendre tous ; néanmoins je les soupçonnais en considérant
l'attention comme religieuse que tous mettaient à observer la marche
du mélange dans la marmite.
Quand enfin l'or entrait en fusion, j'eusse
crié, et peut-être eussions-nous tous crié,
si l'interdit ne nous eût défendu d'élever
la voix ; je tressaillais, et tous sûrement tressaillaient en regardant
mon père remuer la pâte encore lourde, où le charbon de
bois achevait de se consumer. La seconde fusion suivait rapidement ; l'or à
présent avait la fluidité de l'eau. Les génies n'avaient
point boudé à l'opération!
25 Approchez la brique! disait mon père, levant ainsi
l'interdit qui nous avait jusque-là tenus silencieux.
La brique, qu'un apprenti posait près
du foyer, était creuse, généreusement graissée de
beurre de karité. Mon père retirait la marmite du foyer, l'inclinait
doucement, et je regardais l'or couler dans la brique, je le regardais couler
comme un feu liquide. Ce n'était au vrai qu'un très mince trait
de feu, mais si vif, mais si brillant ! A mesure qu'il coulait dans la brique,
le beurre grésillait, flambait, se transformait en une fumée lourde
qui prenait à la gorge et piquait les yeux, nous laissant tous pareillement
larmoyant et toussant.
Il m'est arrivé de penser que tout ce
travail de fusion, mon père l'eût aussi bien confié
à l'un ou l'autre de ses aides : ceux-ci ne manquaient pas d'expérience
; cent fois, ils avaient assisté à ces mêmes préparatifs
et ils eussent certainement mené la fusion à bonne
fin. Mais je l'ai dit ; mon père remuait les lèvres ! Ces paroles
que nous n'entendions pas, ces paroles secrètes, ces incantations qu'il
adressait à ce que nous ne devions, à ce que nous
ne pouvions ni voir ni entendre, c'était là l'essentiel. L'adjuration
des génies du feu, du vent, de l'or, et la conjuration des mauvais esprits,
cette science, mon père l'avait seul, et c'est pourquoi, seul aussi,
il conduisait tout.
Telle est au surplus notre coutume, qui éloigne
du travail de l'or toute intervention autre que celle du bijoutier même.
Et certes, c'est parce que le bijoutier est seul à posséder le
secret des incantations, mais c'est aussi parce que le travail de l'or, en sus
d'un ouvrage d'une grande habileté, est une affaire de confiance, de
conscience, une tâche qu'on ne confie qu'après mûre réflexion
et preuves faites. Enfin je ne crois pas qu'aucun bijoutier admettrait de renoncer
à un travail je devrais dire : un spectacle! où
il déploie son savoir-faire avec un éclat que ses travaux de forgeron
ou de mécanicien et même ses travaux de sculpteur ne revêtent
jamais, bien que son savoir-faire ne soit pas inférieur dans ces
travaux plus humbles, bien que les statues qu'il tire du bois à coup
d'herminette, ne soient pas d'humbles travaux!
Maintenant qu'au creux de la brique l'or était
refroidi, mon père le martelait et l'étirait. C'était l'instant
où son travail de bijoutier commençait réellement ; et
j'avais découvert qu'avant de l'entamer, il ne manquait jamais
de caresser discrètement le petit serpent lové sous sa peau de
mouton; on ne pouvait douter que ce fût sa façon de prendre appui
pour ce qui demeurait à faire et qui était le plus difficile.
30 Mais n'était-il pas extraordinaire,
n'était-il pas miraculeux qu'en la circonstance le petit serpent noir
fût toujours lové sous la peau de mouton? Il n'était pas
toujours présent, il ne faisait pas chaque jour visite à
mon père, mais il était présent chaque fois que s'opérait
ce travail de l'or. Pour moi, sa présence ne me surprenait pas, depuis
que mon père, un soir, m'avait parlé du génie de sa race
[cf. I.29], je ne m'étonnais plus ; il allait de soi que le serpent fût
là : il était averti de l'avenir. En avertissait-il mon père
? Cela me paraissait évident : ne l'avertissait-il pas de tout ? [cf.
I.39] Mais j'avais un motif supplémentaire pour le croire absolument.
L'artisan qui travaille l'or doit se purifier
au préalable, se laver complètement par conséquent et,
bien entendu, s'abstenir, tout le temps de son travail, de rapports sexuels.
Respectueux des rites comme il l'était, mon père ne pouvait manquer
de se conformer à la règle. Or, je ne le voyais point se retirer
dans sa case ; je le voyais s'atteler à sa besogne sans préparation
apparente. Dés lors il sautait aux yeux que, prévenu en rêve
par son génie noir de la tâche qui l'attendait dans la journée,
mon père s'y était préparé au saut du lit et était
entré dans l'atelier en état de pureté, et le corps enduit
de surcroît des substances magiques celées dans ses nombreuses
marmites de gris-gris. Je crois au reste que mon père n'entrait jamais
dans son atelier qu'en état de pureté rituelle ; et ce n'est point
que je cherche à le faire meilleur qu'il n'est il est assurément
homme, et partage assurément les faiblesses de l'homme mais toujours
je l'ai vu intransigeant dans son respect des rites.
La commère à laquelle le
bijou était destiné et qui, à plusieurs reprises déjà,
était venue voir où le travail en était, cette fois revenant
pour de bon, ne voulant rien perdre de ce spectacle, merveilleux pour elle,
merveilleux aussi pour nous, où le fil que mon père finissait
d'étirer, se muerait en bijou.
Elle était là à présent
qui dévorait des yeux le fragile fil d'or, le suivait dans sa spirale
tranquille et infaillible autour de la petite plaque qui lui sert de support.
Mon père l'observait du coin de l'oeil, et je voyais par intervalles
un sourire courir sur ses lèvres ; l'attente avide de la commère
le réjouissait.
Tu trembles ? disait-il.
35 Est-ce que je tremble ? disait-elle.
Et nous riions de sa mine. Car elle tremblait!
Elle tremblait de convoitise devant l'enroulement en pyramide où mon
père insérait, entre les méandres, de minuscules grains
d'or. Quand enfin il terminait l'oeuvre en sommant le tout d'un grain plus gros,
la femme bondissait sur ses pieds.
Non, personne alors, tandis que mon père
faisait lentement virer le bijou entre ses doigts pour en étaler la régularité,
personne n'aurait pu témoigner plus ample ravissement que la commère,
même pas le griot dont c'était le métier, et qui,
durant toute la métamorphose, n'avait cessé d'accélérer
son débit, précipitant le rythme, précipitant les louanges
et les flatteries à mesure que le bijou prenait forme, portant aux nues
le talent de mon père.
Au vrai, le griot participait curieusement
mais j'allais dire : directement, effectivement au travail lui aussi
s'enivrait du bonheur de créer ; il clamait sa joie, il pinçait
sa harpe en homme inspiré ; il s'échauffait comme s'il eût
été l'artisan même, mon père même, comme si
le bijou fût né de ses propres mains. Il n'était plus le
thuriféraire à gages ; il n'était plus cet homme dont chacun
et quiconque peut louer les services : il était un homme qui crée
son chant sous l'empire d'une nécessité tout intérieure.
Et quand mon père, après avoir soudé le gros grain
qui achevait la pyramide, faisait admirer son oeuvre, le griot n'aurait
pu se retenir plus longtemps d'énoncer la « douga », ce grand
chant qui n'est chanté que pour les hommes de renom, qui n'est dansé
que par ces hommes.
Mais c'est un chant redoutable que la «
douga », un chant qui provoque, un chant que le griot ne se hasarderait
pas à chanter, que l'homme pour qui on le chante ne se hasarderait pas
non plus à danser sans précautions. Mon père, averti en
rêve, avait pu prendre ces précautions dès l'aube ; le griot,
lui, les avait obligatoirement prises dans le moment où il avait conclu
marché avec la femme. Comme mon père, il s'était alors
enduit le corps de gris-gris, et s'était rendu invulnérable aux
mauvais génies que la « douga » ne pouvait manquer de déchaîner,
invulnérable encore à ses confrères mêmes qui, jaloux
peut-être, n'attendaient que ce chant, l'exaltation, la perte de contrôle
qu'entraîne ce chant, pour lancer leurs sorts.
40 A l'énoncé de la « douga », mon père
se levait, poussait un cri où, par parts égales, le triomphe et
la joie se mêlaient, et brandissant de la main droite son marteau, insigne
de sa profession, et de la gauche une corne de mouton emplie de substances magiques,
il dansait la glorieuse danse.
Il n'avait pas plus tôt terminé,
qu'ouvriers et apprentis, amis et clients attendant leur tour, sans oublier
la commère à laquelle le bijou était destiné,
s'empressaient autour de lui, le complimentant, le couvrant d'éloges,
félicitant par la même occasion le griot qui se voyait combler
de cadeaux cadeaux qui sont quasi ses seules ressources dans la vie errante
qu'il mène à la manière des troubadours de jadis. Rayonnant,
échauffé par la danse et les louanges, mon père offrait
à chacun des noix de kola, cette menue monnaie de la civilité
guinéenne.
Il ne restait plus à présent qu'à
rougir le bijou dans un peu d'eau additionnée de chlore et de sel marin.
Je pouvais disparaître : la fête était finie! Mais souvent,
comme je sortais de l'atelier, ma mère qui était dans la cour
à piler le mil ou le riz, m'appelait.
Où étais-tu? disait-elle,
bien qu'elle le sût parfaitement.
Dans l'atelier.
45 Oui, ton père travaillait l'or. L'or! Toujours
l'or!
Et elle donnait de furieux coups de pilon
sur le mil ou le riz qui n'en pouvaient mais.
Ton père se ruine la santé!
Voilà ce que ton père fait !
--- Il a dansé la « douga »,
disais-je.
La « douga »! Ce n'est pas
la « douga » qui l'empêchera de s'abîmer les yeux! Et
toi, tu ferais mieux de jouer dans la cour plutôt que d'aller respirer
la poussière et la fumée dans l'atelier!
50 Ma mère n'aimait pas que mon père travaillât
l'or. Elle savait combien la soudure de l'or est nuisible : un bijoutier épuise
ses poumons à souffler au chalumeau, et ses yeux ont fort à souffrir
de la proximité du foyer ; peut-être ses yeux souffrent-ils
davantage encore de la précision microscopique du travail. Et même
n'en eût-il été rien, ma mère n'eût
guère plus aimé ce genre de travail : elle le suspectait,
car on ne soude pas l'or sans l'aide d'autres métaux, et ma mère
pensait qu'il n'est pas strictement honnête de conserver l'or épargné
par l'alliage, bien que ce fût chose admise, bien qu'elle acceptât,
quand elle portait du coton à tisser, de ne recevoir en retour
qu'une pièce de cotonnade d'un poids réduit de moitié.