XII
Le logis de Raymond était, dans la maison de sa mère et juste au-dessus de létable,
Cette maison de campagne non modernisée près de Sare montre comment autrefois on logeait le bétail au rez de chaussée
Source: Archives personnelles
une chambre très nettement badigeonnée à la chaux ; il avait là son lit, toujours propre et blanc, mais où la contrebande lui laissait maintenant peu dheures pour dormir. Des livres de voyages ou de cosmographie, que lui prêtait le curé de sa paroisse, posaient sur sa table, inattendus dans cette demeure. Les portraits encadrés de différents saints ornaient les murailles, et plusieurs gants de joueur de pelote pendaient aux poutres du plafond, de ces longs gants dosier et de cuir, qui semblent plutôt des engins de chasse ou de pêche. [cf. I:IV.55]
Franchita, à son retour au pays, avait racheté cette maison, qui était celle de ses parents défunts, avec une partie de la somme donnée par létranger à la naissance de son fils. Elle avait placé le reste ; puis elle travaillait à faire des robes ou à repasser du linge pour les personnes dEtchézar [1], et louait, à des fermiers d'une terre environnante, deux chambres den bas, avec létable où ceux-ci mettaient leurs vaches et leurs brebis.
Différentes petites musiques familières berçaient Ramuntcho dans son lit. D'abord, le bruit constant dun torrent très proche ; puis, des chants de rossignols quelquefois, des aubades de divers oiseaux. Et, à ce printemps surtout, les vaches, ses voisines den bas, excitées sans doute par la senteur du foin frais, se remuaient toute la nuit, sagitaient en rêve, avec de continuels tintements de leurs clochettes.
Souvent, après les longues expéditions nocturnes, il rattrapait son sommeil pendant laprès-midi, étendu à lombre dans quelque coin de mousse et dherbes. Dailleurs, comme les autres contrebandiers, il nétait guère matinal pour un garçon de village, et séveillait des fois bien après le lever du jour, quand déjà, entre les bois mal joints de son plancher, des rais dune lumière vive et gaie arrivaient de létable den dessous, dont la porte restait toujours grande ouverte au levant après le départ des bêtes pour les pâturages. Alors, il allait à sa fenêtre, poussait le vieux petit auvent en bois de châtaignier massif peint dun ton olive, et saccoudait sur lappui de la muraille épaisse pour regarder les nuages ou le soleil du matin nouveau. [1]
5 Ce quil voyait là, aux entours de sa maison, était vert, vert, magnifiquement vert, comme le sont au printemps tous les recoins de ce pays dombre et de pluie. Les fougères, qui prennent à lautomne une si chaude couleur de rouille, étaient maintenant, à cet avril, dans léclat de leur plus verte fraîcheur et couvraient le flanc des montagnes comme dun immense tapis de haute laine frisée, où des fleurs de digitale faisaient partout des taches roses.
Monet: Champs de coquelicots près de Vetheuil 1879 (W 536)
Source: http://www.buehrle.ch/index.asp?lang=e&id_pic=70
En bas, dans un ravin, le torrent bruissait sous des branches. En haut, des bouquets de chênes et de hêtres saccrochaient sur les pentes, alternant avec des prairies ; puis, au-dessus de ce tranquille Eden, vers le ciel, montait la grande cime dénudée de la Gizune, souveraine ici de la région des nuages.
La Rhune (la Gizune de Loti)
Source: Archives personnelles
Et on apercevait aussi, un peu en recul, léglise et les maisons, ce village dEtchézar, solitaire et haut perché sur lun des contreforts pyrénéens, loin de tout, loin des lignes de communication qui ont bouleversé et perdu le bas pays des plages [2] ; à labri des curiosités, des profanations étrangères, et vivant encore de sa vie basque dautre fois.
Les réveils de Ramuntcho simprégnaient, à cette fenêtre, de paix et dhumble sérénité. Dailleurs, ils étaient pleins de joie, ses réveils de fiancé, depuis quil avait lassurance de retrouver le soir Gracieuse au rendez-vous promis. Les vagues inquiétudes, les tristesses indéfinies, qui accompagnaient en lui jadis le retour quotidien des pensées, avaient fui pour un temps, chassées par le souvenir et lattente de ces rendez-vous-là ; sa vie en était toute changée ; sitôt que ses yeux se rouvraient, il avait limpression dun mystère et dun enchantement immense, lenveloppant au milieu de ces verdures et de ces fleurs davril. Et cette paix printanière, ainsi revue chaque matin, lui semblait toutes les fois une chose nouvelle, très différente de ce quelle avait été les autres années, infiniment douce à son coeur et voluptueuse à sa chair, ayant des dessous insondables et ravissants...
Observations
[1] A contraster, évidemment, avec Gaud Mével dans Pêcheur d'Islande.
[2] En bas de Sare, sur les plages, se trouve Biarritz. L'impératrice Eugénie, femme de Napoléon III, y a fait construire un villa (palais, en effet) aux années 1850 pour servir de résidence d'été. Y passant la saison estivale avec sa cour quand elle voulait quitter Paris et se rapprocher de son Espagne natale, elle a "lancé" la ville comme station balinaire et fait constuire le chemin de fer et tout le tohu bohu dont Loti se plaint ici. Voici sa villa, plus tard converti en hôtel de luxe.
Source: napoleontrois.free.fr/ vacances4.htm
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