III:X
Saint-Louis s'éloignait... Ses alignements réguliers s'abaissaient, s'effaçaient en bandes bleuâtres dans les sables dorés...
De chaque côté du fleuve s'étendaient à perte de vue de grandes plaines insalubres, désertes, éternellement chaudes, éternellement mornes...
Et cela encore n'était que l'entrée de ce grand pays oublié de Dieu, le vestibule des grandes solitudes africaines...
Jean et les spahis avaient été embarqués sur la Falémé, qui marchait en tête, et devait bientôt prendre une avance de deux jours.
Au moment de partir, il avait répondu à la hâte à la pauvre vieille Françoise. Après réflexion, il avait dédaigné d'écrire à sa fiancée ; mais, dans cette lettre à sa mère, il avait mis toute son âme, pour la consoler, lui rendre la tranquillité et l'espoir.
"... D'ailleurs, avait-il écrit, elle était trop riche pour nous... Nous trouverons bien au pays une autre jeune fille qui voudra de moi ; nous nous arrangerons d'habiter dans notre vieille maison, et comme cela, nous serons encore plus près de vous... Mes chers parents, je n'ai plus d'autre pensée tous les jours que le bonheur de vous revoir ; encore trois mois et je serai de retour, et je vous jure que jamais, jamais je ne vous quitterai plus..."
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C'était bien son intention en effet, et il y pensait bien chaque jour, à ses vieux parents bien-aimés...
Mais partager toute son existence avec une autre que Jeanne Méry, cela décolorait tout ; c'était une affreuse pensée, qui jetait sur le retour un épais voile de deuil... Il avait beau faire pour reprendre courage, il lui semblait maintenant qu'il n'avait plus guère de but dans la vie, et que, devant lui, l'avenir était à jamais fermé...
À côté de lui, sur le pont de la Falémé, était assis le géant Nyaor-fall, le spahi noir auquel il avait confié sa peine comme à son plus fidèle ami.
Nyaor ne s'expliquait guère ces sentiments, lui qu'on n'avait jamais aimé, lui qui possédait sous son toit de chaume trois femmes achetées, et qui comptait les revendre quand elles auraient cessé de lui plaire.
Cependant il comprenait que son ami Jean était malheureux. Il lui souriait avec douceur et lui faisait, pour le distraire, des contes nègres à dormir debout...